Traduire sa pensée
On connaît tous le dicton nous prévenant que traduire c’est trahir.
La formule d’origine italienne “Traduttore, traditore” est incisive et paraît même un poil plus accusatrice, qui dit : “traducteur, traître”.
Assurément, passer d’une langue à l’autre signifie changer d’univers d’interprétation, de référentiel de lecture et de compréhension des paroles prononcées, et en cela même, aucun lecteur français n’entendra la parole italienne comme un italien ou la pensée chinoise comme elle se déploie pour un locuteur chinois. Cette mise en garde est donc fondamentale, surtout lorsque l’on découvre des textes étrangers dans notre propre langue, négligeant souvent combien c’est le choix des mots, le rythme et le timbre du traducteur qui entre dans notre oreille et non la langue originelle dans laquelle les choses ont été exprimées.
Pour aller plus loin, je pense que , dans notre langue-même, nous devons aussi intégrer de manière plus intime cette leçon, qui insiste sur le fait que le choix et l’ordonnancement des mots est constitutif du sens, consubstantiel, et que le perturber c’est aussi perturber la qualité, la nature ou l’écoute de ce qui est proposé. Lorsque la forme choisie est très particulière, nous le comprenons bien et le respectons : il ne viendrait pas à l’esprit de résumer un poème, ni de prétendre que son commentaire reproduit l’impact du texte lui-même.
Mais avons-nous cette conscience lors qu’on reprend la pensée d’un auteur en n’utilisant pas les concepts qu’il avait maniés ? Lorsqu’on résume des idées en les sortant hâtivement de leur contexte, ou lorsqu’on oublie à quel auditoire s’adressait une prise de parole ? Il est deux point fondamentaux sur lesquels je tiens ici à attirer l’attention :
Dès que changent les mots, sont modifiées l’écoute, les interprétations possibles, et souvent l’idée ;
Dès que changent les auditeurs, sont de même modifiées - pour une même parole - l’interprétation et la portée de ce que nous disons.
Aussi, est-il d’autant plus important de se demander si, lorsque nous prenons la parole, nous sommes de bons interprètes au service de notre propos.
Sans aucun doute, savoir communiquer demande un réel travail, le noble et imparfait travail du traducteur !
Pour illustrer le fait que - pour une même intention - des choix de mots différents peuvent communiquer des impressions, un sens et un impact différents, je reviens à la poésie et vous propose ici trois versions d’un poème du célèbre poète Kenji Miyazawa (1896-1933), texte aujourd’hui très connu au Japon.
“Ame ni mo makezu”
Et vous, êtes-vous le bon traducteur de ce que vous souhaitez exprimer ?
Choisissez-vous les mots qui ouvriront l’espace d’écoute, de réflexion, de collaboration ou de négociation que vous souhaitez en comprenant la langue de vos interlocuteurs ?